Censure Européenne

Un premier blocage européen

La guerre en Ukraine a amené pour la première fois le Conseil de l’Union Européenne à prendre une décision de censure envers des médias russes dans tous les pays membres de l’Union Européenne. Dès le 27 février 2022, la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, annonce vouloir interdire les média russes en Europe. Le 1er mars, le Conseil de l’Union Européenne adopte la décision 2022/351 ainsi que le règlement 2022/350 demandant le blocage des contenus de Russia Today et Sputnik News “par tout moyen tel que le câble, le satellite, la télévision sur IP, les fournisseurs de services internet, les plateformes ou applications de partage de vidéos sur l’internet, qu’elles soient nouvelles ou préinstallées.”. Cette décision est justifiée par les activités de propagande de ces médias et la nécessité de lutter contre la désinformation opérée par la Russie : “Compte tenu de la gravité de la situation, et en riposte aux actions de la Russie visant à déstabiliser la situation en Ukraine, il est nécessaire, dans le respect des droits et libertés fondamentaux reconnus dans la Charte des droits fondamentaux, et notamment du droit à la liberté d’expression et d’information reconnu à l’article 11 de celle-ci, d’instaurer de nouvelles mesures restrictives afin de suspendre d’urgence les activités de diffusion de ces médias dans l’Union ou en direction de l’Union. Ces mesures devraient être maintenues jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine prenne fin et jusqu’à ce que la Fédération de Russie et ses médias associés cessent de mener des actions de propagande contre l’Union et ses États membres.”

Il s’agit de la première décision dans l’histoire du Conseil de l’Union Européenne demandant le blocage de médias. L’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE ou BEREC en anglais) a publié dès le 4 mars une clarification indiquant que cette décision est légale et n’est pas une atteinte à la neutralité du net. Une seconde clarification le 12 mars vient préciser que cette décision doit être comprise dans son sens large et que tous les domaines et sous-domaines de ces deux organisations doivent être bloqués par les FAIs européens.

Plusieurs organisations ont soulevé des questions légales par rapport à cette décision. La Fédération Européenne des Journalistes a dès le 1er mars soulevé la question de la compétence de l’Union Européenne sur les sujets d’accès médiatique, qui est aujourd’hui une compétence réservée aux états membres. Elle critique également clairement le principe même de ce blocage pour lutter contre de la propagande: “Cet acte de censure peut avoir un effet totalement contre productif sur les citoyens qui suivent ces médias interdits. D’après nous, il est toujours préférable de contrer la désinformation de média propagandistes ou prétendument propagandistes en exposant leurs erreurs factuelles ou leur mauvais journalisme, en démontrant leur manque d’indépendance financière ou opérationnelle, en sous-lignant leur loyauté aux intérêts gouvernementaux et leur mépris pour l’intérêt public”. Plusieurs journalistes ou universitaires tels que Dirk Voorhoof ont également critiqué le manque de nécessité ou de proportionnalité de cette décision : “Soyons clair, l’UE n’est pas en guerre avec la Russie et l’Ukraine n’est pas un pays membre de l’UE. Il doit donc y avoir de très fortes raisons pour justifier la censure de l’UE de RT et Sputnik comme pertinente, proportionnée et nécessaire”. Cette opinion est également partagée par l’ONG Article 19 qui indique que “L’UE doit démontrer que les programmes de RT et Sputnik constituent réellement une menace sérieuse et immédiate à l’ordre public et la sécurité pour justifier une censure dans tous les états membres de l’UE”.

Malgré le manque de clarté sur l’application de cette décision, elle a été appliquée très rapidement par les FAIs français comme rapporté par NextINpact.

Mis à jour très régulièrement

Le conseil de l’Union Européenne est ensuite venu amender cette liste régulièrement pour ajouter plus d’organisations à cette décision de censure :

Et appliqué de manière assez aléatoire

Comme expliqué dans notre méthodologie technique nous avons procédé à des tests techniques entre septembre et novembre 2024 sur les réseaux des quatre plus grand fournisseurs d’accès en utilisant la plateforme OONI:

SiteDomaineFreeOrangeSFRBouygues
Russia Todaywww.rt.com francais.rt.com actualidad.rt.com arabic.rt.com de.rt.com russian.rt.com🚫🚫🚫🚫
Sputniksputniknews.com (ancien domaine)🚫🚫🚫🚫
Sputniksputnikglobe.com (nouveau domaine)
RTR Planetartr-planeta.com🚫🚫
RTR Planetavgtrk.ru
Rossiya 24www.vesti.ru🚫🚫🚫
TV Centrewww.tvc.ru🚫🚫🚫
NTVwww.ntv.ru ntv.ru
Rossiya 1russia.tv (ancien domaine)🚫🚫
Rossiya 1smotrim.ru (nouveau domaine)🚫🚫🚫
REN TVwww.ren.tv ren.tv
Pervy Kanalwww.1tv.ru 1tv.ru
Sputnik Arabicsarabic.ae
RT Balkanlat.rt.rs🚫🚫
Oriental Revieworientalreview.su
Tsargrad TVtsargrad.tv🚫
New Eastern Outlookwww.ivran.ru
Katehonkatehon.com🚫
RIA Novostiria.ru
Izvestiaiz.ru
Rossiiskaja Gazetarg.ru

(Légende: ✅ : accessible, 🚫 bloqué)

On voit très clairement dans ces tests que si les sites de Russia Today et Sputnik News ont été bloqués par tous les FAIs rapidement après le début de l’offensive russe, le reste des décisions a été appliqué de manière plus aléatoire avec la majorité des sites accessibles, et sept d’entre eux bloqués par un, deux ou trois FAIs et jamais par tous.

Probablement en réaction à ces blocages, nous nous sommes également aperçus que deux sites de média ont changé de nom de domaine principal :

  • Sputnik News : le 29 mars 2023, l’organisation enregistre sputnikglobe.com (date issue des données whois) et redirige le trafic de son site principal sputniknews.com vers ce nouveau domaine fin Avril (d’après les données d’Internet Archive). Ce nouveau domaine a été utilisé depuis et n’est, à ce jour, bloqué par aucun des 4 FAIs d’après nos tests.
  • Rossiya 1 : même si le domaine a été enregistré en 2006, il semble que ce n’est qu’entre 2023 et 2024 que Russia 1 a commencé à rediriger son domaine russia.tv vers smotrim.ru. Néanmoins, la plupart des FAIs commerciaux ont identifié ce second site comme appartement à Russia 1 et l’ont également bloqué (3 FAIs sur 4 dans nos tests).

Références

Dernière mise à jour: novembre 2024